Abravanel et Séneor

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Par Didier Nebot

Abravanel et Séneor furent informés de ce qui se tramait. Ils étaient furieux mais il fallait composer. Surmontant leur indignation, en tant que représentant de la communauté juive, ils demandèrent audience à Ferdinand.

«  Sire, d’inquiétantes rumeurs circulent sur notre devenir, devons-nous y ajouter foi ? »

«  Ces bruits sont fondés, répondit solennellement le roi. Votre présence sur notre territoire est devenue indésirable, elle constitue une offense à Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

«  Je ne comprends pas, s’étonna Seneor, nous vous avons toujours servi avec loyauté. »

«  Les temps ont changé, la nouvelle Espagne ne peut être que chrétienne. »

«  Quelle ingratitude, sire, quelle injustice ! S’emporta le rabbin. Nous sommes imprégnés de cette terre autant qu’elle l’est de nous, nous l’habitons depuis de nombreux siècles, nul n’a le droit de nous en chasser. »

Seneor était en plein désarroi, la cause semblait entendue. Il parla fort, puis se laissa aller et ouvrit son cœur ; il fallait à tout prix que le roi revienne sur sa décision. Abravanel crut, un instant, lire de l’émotion sur le visage de Ferdinand. C’était le moment d’avancer l’argument décisif.

«  Sire, dit-il en interrompant Seneor, vous m’avez fait l’honneur de vous conseiller pour les affaires du royaume. Or, vous ne l’ignorez pas, les finances de l’Etat sont à un point critique. La guerre a coûté cher et reconstruire le pays nécessitera d’énormes sommes. Notre communauté a consenti de gros sacrifices pour vous venir en aide. Cependant je prends l’engagement, au nom des miens, de continuer dans cette voie. Nous travaillerons jour et nuit s’il le faut pour vous fournir tout ce dont vous aurez besoin. Pour vous prouver notre bonne foi, je vous offre, sur-le-champ, trente mille ducats d’or. »

Le roi, impressionné, demanda à réfléchir. Abravanel respira, tout n’était pas perdu. Malheureusement, Torquemada, le grand inquisiteur, qui avait conduit aux bûchers tant de juifs convertis, tapi derrière une porte, avait écouté la conversation. Il pénétra dans la pièce en furie et tendit un crucifix à Ferdinand : « Judas a vendu Notre-Seigneur pour trente ducats. Vous, vous le donneriez pour trente mille. Tenez, le voilà ! »

Ferdinand tressaillit. Il regarda longuement le crucifix, puis s’agenouilla, implorant le pardon. Redevenu maître de lui, il congédia les deux juifs.

L’Espagne chrétienne venait de remporter l’une de ses plus belles victoires.

 «  Nos compatriotes du sud de l’Espagne choisiront certainement l’Afrique du nord, ils ont depuis longtemps noué de bonnes relations avec les Etats arabes, y partir ne les effraierais pas. Par contre, ceux qui vivent à l’intérieur des terres ou dans le Nord préfèreront l’empire turc, la Navarre, le Portugal, la Sicile ou l’Italie. » Dit Abravanel

«  Comment organiser les départs ? Dit Sénéor, il y a tant de problèmes à régler. Les routes sont-elles sûres ? Ne risque-t-on pas d’être détroussé en chemin ? Il est vrai que depuis l’avènement d’Isabelle, la situation s’est nettement assainie. Il n’y a pas loin de quatre cents communautés juives dispersées à travers toute l’Espagne, Il faut qu’elles puissent se réunir dans les grandes villes, d’où partiront à dates régulières de grands convois pour le Portugal, la Navarre et les grands ports. Nous ne pouvons faire confiance à aucun soldat, aucun mercenaire pour les escorter. Nous ne compterons que sur nous-mêmes. Les rabbins seront les porte-parole, ils réconforteront les plus éprouvés et donneront les directives nécessaires. Les plus vaillants et les plus jeunes d’entre nous seront nos défenseurs. Il faudra prévoir de la nourriture et des chariots pour les malades et les blessés. »

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