Dans toutes les villes

Minute Historique

Par Didier Nebot

Dans toutes les villes la nouvelle fut accueillie avec des cris de victoire. L’Espagne allait devenir ce fier pays uni qu’avait promis la reine en montant sur le trône. Après l’Inquisition, cette expulsion venait parachever l’œuvre d’Isabelle. Riches ! En se partageant les possessions des exilés, les chrétiens redeviendraient riches, murmurait les peuple en applaudissant les hérauts.

Puis les foules s’introduisirent dans les Judérias, non pas pour tuer mais pour crier leur joie. Elles invectivèrent la population consternée, frappèrent aux portes, impatientes de s’approprier ces maisons. La reine avait interdit qu’on s’attaque aux juifs, bienveillante attention. C’était à se demander pourquoi ces gens semblaient si tristes : on leur laissait la vie sauve !

Il fallait acheter, fort cher cette fois, des vivres, des chevaux, des charrettes, des couvertures, des tonneaux, des chèvres, des poules… Les Prêtres suivaient les chariots des proscrits, souvent épuisés et ivres de fatigue, leur proposant repos et nourriture en échange d’une conversion.

Durant la semaine précédant l’ultimatum, les routes d’Espagne avaient été ainsi sillonnées de longs convois, de petits groupes et de solitaires. Ceux de la Vieille-Castille et des Asturies étaient entrés au Portugal par le nord ; peu avaient choisi la Navarre, qu’enclavaient deux pays fortement chrétiens ; les Catalans et ceux du bord de mer avaient embarqué pour l’Italie ou les pays arabes. Quelques audacieux s’étaient aventurés jusqu’à Salonique ou en Turquie

Les convertis, pourtant nombreux, n’osaient plus sortir de chez eux, ce qui accentuait cette impression de solitude et d’angoisse que l’on ressentait en passant dans ces quartiers vides. Ils avançaient comme des golems, évitant les regards… La force vive du pays allait disparaitre. Isabelle pouvait bien financer les voyages extravagants de navigateurs qui jouaient avec des œufs, sans les juifs et les Arabes l’Espagne ne serait, elle aussi, que vanité et course après le vent.

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