Des scènes aussi atroces se déroulèrent sur d’autres navires

MI 19

Par Didier Nebot

Un capitaine, prétextant le manque de vent, fit traîner le voyage en longueur jusqu’à ce que les fugitifs aient épuisé leurs provisions. Puis il leur vendit de la nourriture à prix d’or. Souvent, alors que les bateaux arrivaient en territoire maure, les exilés parqués dans la cale étaient vendus comme esclaves aux riches Arabes ou abandonnés sur les côtes désertes de l’Afrique. Vols, viols, meurtres, tout était bon pour profiter de leur extrême faiblesse…

Et si les capitaines s’avéraient honnêtes, la nature se mêlait de transformer certaines traversées en cauchemar. Le rabbin Juda ben Hayyat embarqua à Lisbonne avec sa femme et plus de deux cent cinquante personnes. Les conditions d’hygiène furent telles que la peste éclata à bord. Par la grâce de Dieu, il n’y eut que quatre morts et la maladie fut rapidement circonscrite, mais aucun port n’accepta de recevoir le navire, qui erra durant quatre mois sur les flots. Des pirates de la Biscaye s’en emparèrent sans peine et accostèrent au port le plus proche après avoir constaté qu’il y avait bien peu de choses à voler.

Ils étaient revenus en Espagne, à Malaga. On compta les morts, on soigna les malades, mais lorsque les juifs voulurent débarquer les autorités refusèrent : « Vous ne poserez le pied ici qu’après vous être convertis. »

Le rabbin parlementa : « Laissez-nous achetez des vivres ! Nous mangeons des céréales moisies depuis deux semaines, des enfants sont morts de faim, des pirates nous ont enfermés dans la cale pendant trois jours. Donnez-nous à manger et nous repartirons ! »

Mais il ne put émouvoir les prêtres qui restèrent sur leur position, ravis de l’occasion de faire tant de nouveaux chrétiens.

Après quelques jours, à bout de forces, la moitié des survivants, une centaine de personnes, acceptèrent le baptême. Les autres résistèrent. Plus les jours passaient, plus les Espagnols accouraient, souvent de très loin, pour assister à l’agonie de cette poignée de fous. Des paris étaient pris sur le nombre des victimes. « Ces juifs sont idiots, ils se laissent mourir plutôt que de devenir chrétiens ! » «  Attendez encore quelques jours et ils lâcheront prise. »

Dix morts, vingt morts, la femme du rabbin succomba. Mais les Hébreux ne pliaient pas, les plus faibles avaient déjà quitté le navire. Les Espagnols commencèrent à se lasser du macabre spectacle, leur frénésie se calma et enfin des voix s’élevèrent pour aider ces malheureux. Après deux mois de calvaire, on apporta du pain, de l’eau et les survivants décharnés furent autorisés à repartir pour l’Afrique. Leur supplice n’était pourtant pas encore terminé : quelques cas de dysenteries se déclarèrent à bord. Les ports, croyant qu’il s’agissait du choléra, les rejetèrent. On les débarqua finalement sur une plage déserte du Maroc où ils furent emmenés par une tribu nomade qui les réduisit en esclavage.

Le rabbin Hayyat fut jeté dans un cachot plein de rats et de salamandres. Mais après tant d’épreuves, il était décidé à se laisser mourir plutôt que d’abjurer sa foi. Dieu fut-il avec lui ? Le fait est qu’il survécut aux brimades et qu’on le libéra. Mais il régnait une telle famine que pour gagner sa pitance il se cassait les reins chaque jour sur une meule à grains. Le bruit courut jusqu’à Fez que le rabbin Hayyat, martyr d’Espagne, était encore en vie. La communauté fit une collecte et le racheta. Béni soit l’Eternel qui permit ce miraculeux sauvetage.

Au Portugal, ceux qui attendaient la fin des huit mois pour quitter le pays furent informés de ces scènes d’horreur. Ils eurent alors peur de partir. Les rabbins supplièrent le roi de les garder mais le monarque refusa.

A l’expiration du délai, il restait encore plusieurs dizaines de milliers de juifs au Portugal. Fidèle à sa parole JoaoII les vendit comme esclaves aux membres de la noblesse. Il y eut des scènes épouvantables. On sépara les jeunes de trois à dix ans de leurs parents, on les convertit et on les envoya peupler les terres lointaines. On transporta même des enfants sur l’île Saint-Thomas où pullulaient les serpents venimeux. La plupart succombèrent. Des mères se jetèrent dans les flots avec leur progéniture. D’autres immolèrent leurs enfants puis s’éventrèrent. Certains se cachèrent dans les montagnes, d’autres retournèrent en Espagne.

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