Du temps des Romains II

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Par Didier Nebot

Tout changea au début du ive siècle lorsque les empereurs romains se convertirent au christianisme. Les juifs pouvaient continuer de pratiquer leur culte mais les persécutions ou les vexations qui avaient d’abord été le fait des Hébreux se retournaient désormais contre eux. Cependant, les anciens rites païens n’avaient pas disparu ; certes, dans tout l’Empire, les riches citadins cherchaient à imiter Rome, mais, dans les campagnes, les humbles et les pauvres avaient du mal à accepter la nouvelle religion de l’occupant, qui les opprimait et les exploitait. Les Pères de l’Église, animés d’une foi ardente, avaient beau porter la bonne parole parmi les populations indigènes, ils convertissaient de manière superficielle ces païens toujours attachés à leurs rites ancestraux. Au contraire, il était plus facile aux juifs d’expliquer leur foi : ils n’avaient pas de problème de langue et, comme le petit peuple, ils étaient mal aimés. Il se créa donc un syncrétisme juif, de nombreux Berbères parmi les plus pauvres voyant d’un bon œil le judaïsme, qu’ils comprenaient.

 Des Pères de l’Église – saint Augustin, saint Cyprien –, Tertullien s’en émurent et multiplièrent leurs attaques contre les Hébreux. Dans leurs sermons, ils s’étonnèrent ou s’indignèrent du nombre de la population juive, et de la propagande faite dans les milieux berbères. Tertullien, dans son traité Contre les juifs, rapporte que « les habitants de la province d’Afrique observent le sabbat, les jours de fête et de jeûne ainsi que les lois alimentaires des juifs ».

Il y eut des hérésies, et des poches de résistance chrétienne s’organisèrent même (comme le donatisme, les sectes des abéloniens et des circoncellions), mouvements populaires de révolte berbère refusant le christianisme pur et dur imposé par Rome. Monceaux, traduisant saint Augustin, évoque également la secte des caelicolae qui observaient les prescriptions judaïques tout en adorant la déesse Céleste.

Ainsi, à la fin de l’Empire romain, en dehors des villes plutôt riches, latines, mais à la culture mal définie, superficiellement chrétiennes et acceptant la pression de l’Empire, il y avait, dans les campagnes, d’une part des tribus majoritairement païennes, de l’autre des tribus de sang mêlé, mi-païennes, mi-juives, luttant contre l’étranger romain. Cette coexistence suscita dans l’esprit des autochtones une confusion quant à leurs origines. Ainsi s’explique la légende vivace parmi les populations indigènes – rapportée jusqu’à une époque fort avancée par des auteurs aussi éminents que saint Augustin (ive siècle), Procope (vi e siècle) ou Ibn Khaldoun (xive siècle) – qui donnait une origine cananéenne, c’est-à-dire sémitique, aux Berbères. Procope nous apprend par exemple qu’il y eut deux immigrations originaires de Canaan : la première concernant les fameux Gergaséens battus par Josué, la seconde, bien plus tardive, touchant leurs frères de race, les Phéniciens de Didon, venus fonder Carthage. Il précise aussi : « Avant eux, la Libye était habitée par d’autres peuples qui, s’y trouvant fixés depuis une haute Antiquité, étaient regardés comme autochtones. »

Cette théorie cananéenne a vraisemblablement été avancée au début de l’ère chrétienne par les juifs. Très surpris de retrouver des populations qui parlaient un idiome similaire à l’hébreu, ils en conclurent qu’il s’agissait de cousins éloignés, les Gergaséens de la Bible, chassés de Palestine par Josué en des temps fort éloignés.

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