La première intervention de Joao II fut d’abord rassurante 

Didier 18

Par Didier Nebot

 C’est en des termes pleins de compassion qu’il s’adressa aux commandants des bateaux chargés de transporter les juifs : « Je vous confie des hommes et des femmes qui ont beaucoup souffert. Je vous demande de les traiter avec bienveillance et de les déposer dans le pays de leur choix. En bons chrétiens que vous êtes et suivant la promesse que vous m’avez faite, le prix du voyage sera très raisonnable. Vous êtes le dernier espoir de ces malheureux. »

Rendus confiants par de tels propos, deux mille cinq cents juifs s’embarquèrent bientôt sur une dizaine de navires pour l’Afrique.

Car, si ceux qui réagirent immédiatement arrivèrent à bon port, les autres vécurent à nouveau un cauchemar. La nature humaine, ouverte à toutes les faiblesses, fit son œuvre : les capitaines de navires comprirent la grand, l’immense profit qu’ils pouvaient tirer de ces êtres perdus. Se doutant qu’ils transportaient avec eux de l’or ou des biens négociables, ils abusèrent de leur situation désespérée. Le respect préconisé par Joao II partit en fumée…

Ainsi, à bord de la frégate Dieu le veut, deux jours après le départ, Manuel de Santos, seul maître à bord après Dieu, informa le rabbin Eli ben Zaffran, porte-parole des deux cent cinquante pauvres bougres qu’il transportait, de la décision qu’il venait de prendre : «  Si vous voulez continuer votre route, il faut me payer un supplément. »

«  Mais nous vous avons déjà tout réglé à l’embarquement ! Comment voulez-vous que… ? »

«  J’encours trop de risques avec vous. Vous sentez mauvais, vos enfants sont malades et rien ne me dit que vous n’aurez pas la peste… »

«  Vous n’avez pas le droit, vous aviez promis. »

«  Je n’ai pas le droit ! Eh bien tu vas voir, fils de chien ! »

Il appela deux de ses marins qui saisirent le rabbin et le jetèrent par-dessus bord. La mer était calme, il n’y avait pas de vent, et pendant un long moment chacun entendit les cris du malheureux. Puis ce fut le silence.

Le capitaine s’adressa alors aux proscrits, qui s’étaient blottis à l’avant du bateau : «  Voilà, manants, ma réponse à votre rabbin. Maintenant, payez et je vous mènerai à bon port. »

Une frêle silhouette sortit du rang :

«  Moi je ne peux donner davantage, je n’ai plus rien. »

«  Ah ! Tu n’as plus rien, ricana Santos. Tu as bien une famille quand même. »

«  Oui. »

«  Désigne-la-moi. »

Tout tremblant, il montra du doigt sa femme et sa fille.

Alors le capitaine s’adressa à ses hommes : « Elles sont à vous, faites-en ce qu’il vous plaira. »

Six forcenés se ruèrent sur les deux juives, tandis que deux autres frappaient le mari qui cherchait à s’interposer. Ils s’acharnèrent sur les deux malheureuses, les abandonnant après avoir assouvi leurs instincts… Les autres passagers, terrorisés, s’étaient bouché les oreilles et avaient fermé les yeux. Santos, l’œil brillant, se campa devant eux et les obligea à l’écouter.

« Celui-ci a réglé son droit de passage. Comme vous le voyez, je ne suis pas difficile, j’accepte l’or et toute autre fortune. Dois-je encore le prouver ? »

Alors, fébrilement, tous mirent en commun le peu qui leur restait et le donnèrent pour avoir la vie sauve. Cela dut suffire puisque Santos ne leur réclama rien d’autre et les transporta jusqu’au Maroc.

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