Le 1er janvier de l’an de grâce 1407

MI4B

Par Didier Nebot

Le 1er janvier de l’an de grâce 1407, le bon roi Enrique III de Castille s’éteignit.

La rumeur accusa le rabbin Meir Alguades, médecin et confident du roi, de l’avoir empoisonné. Après une parodie de procès, le saint homme fut condamné à être écartelé en place publique. La Régence fut confiée à la reine Catherine de Lancaster, juan II étant trop jeune pour régner. Le conseil de régence ne cacha pas son ressentiment à l’égard du peuple du Livre, mais ce n’est qu’en 1412 que commencèrent les véritables persécutions. Cette année-là, la régente dona Catalina promulgua un édit en vingt-quatre articles destiné à rendre la vie pratiquement impossible aux juifs. Il leur imposait en effet l’obligation de vivre isolés des chrétiens, dans des quartiers spéciaux cernés par une clôture et ne possédant qu’une porte, et l’interdiction de vendre quoi que ce soit aux dits chrétiens; d’avoir tentes et boutiques; d’exercer les métiers suivants : vétérinaire, médecin, charpentier, tailleur, cordonnier, boucher, fabricant de bas, tondeur, fourreur, chiffonnier et commerçant ; de s’occuper du trafic du miel, du riz, de l’huile et autres marchandises, de participer à un quelconque emploi public ; de porter sur soi des étoffes riches et des draps de valeur ; de changer de demeure ; de se couper la barbe et les cheveux. Enfin, il rendait obligatoire le port de la rouelle pour les juifs et interdisait aux chrétiens de leur donner l’hospitalité.

Ces lois furent appliquées de manière plus ou moins rigoureuse selon les villes. Elles n’en entretinrent pas moins un état de détresse morale parmi les juifs. Les autorités leur assignèrent des quartiers spéciaux qu’ils devaient intégrer dans les huit jours. Leurs allées et venues étaient surveillées. Tout dans leur aspect devait inspirer le mépris, le dégoût.

Ainsi naquit le port de la barbe, des cheveux longs, des vêtements de gros lainage noir et de la rouelle, ce petit bout d’étoffe jaune cousu sur les vêtements à hauteur de la poitrine… Le but était de leur ôter tout espoir, et de leur montrer qu’il ne pouvait y avoir de salut en dehors de la religion chrétienne.

C’est sur ce fond de misère et de tourmente que Vincent Ferrer prononça ses plus violents anathèmes. Il répétait avec force ce qu’il préconisait depuis tant d’années : la conversion, la conversion, la conversion.

La foule fascinée n’attendait qu’un ordre pour s’abattre sur les ennemis du Tout-Puissant. Elle surgissait dans les synagogues, brandissant des crucifix et des bibles, pour accomplir l’œuvre purificatrice.

“Nous venons vous sauver au nom de Dieu, demain il sera trop tard, demain vous mourrez. Repentez-vous, accepter le salut !”

Pour la première fois de son histoire, Israël céda en masse devant l’épreuve. Contrairement à ce qui s’était passé en 1391, il n’y eut aucune tuerie, mais des rues et des quartiers entiers se soumirent à la nouvelle foi. Conduits par les membres les plus sages de leur communauté, des milliers de juifs se convertirent, parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix pour vivre. Dans la seule année 1412, deux cent mille se convertirent.

L’humiliation et la honte atteignirent leur paroxysme avec la conférence de Tortosa. Là, durant de longs mois, l’Eglise organisa une controverse publique dont le but était de prouver que Jésus était le Messie tant attendu, puisqu’il avait accompli toutes les prophéties. De ce fait les “brebis perdues de la maison d’Israël” devaient le reconnaître et rejeter la Torah. Les plus grands rabbins d’Espagne, Zekharia Halevi de Saragosse, Moshé Ibn Abez, Joseph Albo participèrent aux nombreuses sessions qui se tenaient dans la ville de Tortosa.

L’église exulta car elle arrivait à son but. Devant une argumentation partisane et malhonnête, et le désarroi des rabbins pris au piège, mal préparés à de telles joutes oratoires, de très nombreux adeptes de la loi mosaïque abjurèrent leur foi. Des scènes analogues se reproduisirent dans toute l’Espagne. Village après village, ville après ville, la conversion s’étendait, érodant la communauté juive. Beaucoup crurent à l’effondrement du judaïsme.

Mais Israël résista. Malgré une dramatique hémorragie, la “solution définitive” échoua, car elle se heurta à un infranchissable mur de foi. Cependant, majoritaires au début de l’ère chrétienne dans cette région du monde, les Hébreux, de par ces massacres répétés et ces conversions massives, devinrent minoritaires. Ainsi, en ce début du XVème siècle, le judaïsme connut une complète mutation. D’un côté, des centaines de petites communautés n’avaient subi que très peu de dommage ; de l’autre, en plus grand nombre, de nouveaux chrétiens se sentaient perdus. Si quelques-uns acceptaient avec philosophie leur nouvelle condition, la plupart la refusaient, observant en secret leurs anciens rites. Ils devaient alimenter plus tard les bûchers de l’Inquisition.

En 1419, mourut Vincent Ferrer, le grand pourfendeur du judaïsme. L’État décréta plusieurs journées de deuil et des cérémonies officielles bénirent sa mémoire.

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