L’Inquisition

MI9

Par Didier Nebot

Enfermé dans une grotte humide et totalement obscure, Diego avait perdu la notion du temps lorsqu’un matin on l’introduisit dans une grande pièce éclairée par des torches puissantes. Devant lui se tenaient ses juges, assis derrière une longue table.

“Diego de Susan, vous êtes accusé d’avoir comploté contre le régime en voulant exécuter Miguel de Morillo et Juan de Martin, représentants officiels du Saint-Office à Séville. Vous êtes ici pour avouer vos crimes et vous repentir.”

Il tenta de se justifier, mais on l’interrompit, il devait subir la question. Face à ce tribunal, il n’était plus un être humain mais une souris prise au piège, qu’on allait dépecer sous couvert d’un aveu à obtenir. Un homme arrêté n’avait aucune chance ni d’être jugé loyalement, ni de connaître une mort douce ou brève. L’enfer existerait sur terre. Diego allait y goûter.

Ce fut d’abord l’épreuve de la poulie. On le suspendit au plafond par une corde, pour le laisser tomber ; mais la corde le retenait à quelques centimètres du sol. A chaque chute, un choc d’une violence inouïe manquait de le démembrer. Diego avait à peine conscience de ses hurlements. On recommença jusqu’ à ce qu’il acquiesce à toutes les questions.

“José del Castillo, Eduardo Uva, Pedro Sunis sont donc coupables. Vous devez nous donner la liste de vos autres complices.”

Mais Diego ne pensait qu’à la douleur, il n’avait aucun nom en tête. La question se poursuivit. On lui fit boire des litres et des litres d’eau, si bien qu’il ne respira plus qu’avec difficulté. Alors ses bourreaux l’allongèrent sur un banc creux qu’on recouvrit d’une lourde dalle : il arrivait parfois que le corps éclate sous la pression. Une torpeur étrange descendait sur lui par bouffées, lui dérobait les paroles de l’inquisiteur. A bout de forces, il s’évanouit. On le reconduisit au cachot. Il avait été condamné au bûcher.

Le 6 janvier 1481, Diego et les plus riches marranes de Séville inaugurèrent le spectacle du feu : devant plus de cinquante mille personnes ils furent brûlés en place publique. Mais les tortures les avaient déjà détruits, ils n’étaient plus que des ombres fantomatiques qu’on traîna au bûcher, et auxquelles les flammes arrachèrent un dernier hurlement avant de les consumer.

L’Inquisition s’organisa très rapidement en établissant des règles strictes pour permettre les arrestations. La dénonciation était un droit, et même un devoir. Toute personne qui portait des vêtements d’apparat et ne touchait pas au feu le samedi, ou bien s’abstenait de manger du porc était suspectée. Les enfants devaient dénoncer leurs parents, on garantissait l’anonymat pour tout dénonciateur.

Un simple différend prenait d’énormes proportions. La vie était devenue impossible : pour une jalousie, une dette, des hommes étaient livrés aux bourreaux, parfois par leur propre frère. Serviteurs et parents pouvaient devenir des ennemis implacables. A Séville, l’afflux des prisonniers fut tel que le Saint-Office quitta le couvent de San Pablo pour le château de Triana. Devant cet immense succès, l’Inquisition s’étendit à la plupart des grandes villes de Castille, sous la responsabilité de Torquemada.

On demanda aux rabbins de dénoncer ceux qui judaïsaient. En échange d’une relative sécurité dans les juderias, ils devaient participer à l’effort d’assainissement. Au risque de leur vie et en dépit des pressions qu’ils subirent, aucun n’obéit à cet ordre inique.

L’Inquisition étendait donc sa grande ombre sur toute l’Espagne. Pour la première fois depuis de nombreuses décennies, les juifs n’étaient pas inquiétés. Ironie du sort, ceux qui avaient refusé le parjure en étaient presque récompensés, c’étaient les autres, les marranes, qu’on traquait.

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