Pendant ce temps à Seville en 1480

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Par Didier Nebot

C’était soir de fête. Les juifs célébraient la pâque et les soldats faisaient leur ronde autour de la juderia. Tout était calme, la Séville chrétienne ne fêterait la résurrection du Christ qu’une semaine plus tard. Ce soir-là, deux gardes, reniflant une odeur de brûlé, remontèrent la petite ruelle lsaac-Shaprut et tombèrent sur un remue-ménage étrangement silencieux : une dizaine d’hommes luttaient contre un feu, tout en jetant des regards inquiets vers l’entrée de la juderia. Quand ils virent les arrivants, leur attitude devint étrange.

“Que se passe-t-il ici ?” Questionna un des gardes.

“Nous étions en train de célébrer la pâque lorsqu’un candélabre s’est renversé sur le sol. Le feu a pris assez vite, mais nous l’avons circonscrit, il n’y a plus de danger maintenant.”

“Vous êtes sûrs ?  Nous allons voir.”

“Non, tout va bien, il n’y a plus de danger, vraiment !”

L’homme semblait paniqué, ses compagnons fixaient le sol. Ce comportement insolite intrigua les gardes, qui s’avancèrent vers le groupe, dévisageant les hommes un par un… L’un d’eux chercha à reculer pour disparaître dans la rue, le garde le rattrapa et le reconnut. “Mais tu es Simon de Rosas. Que fais-tu au milieu de ces juifs?”

“C’est un converti, il festoyait avec eux ! Il judaïse ! Va chercher du renfort!” dit l’autre garde.

Les autorités, vite prévenues, firent perquisitionner dans toute la juderia, où elles trouvèrent de nombreux convertis qui communiaient avec leurs anciens coreligionnaires. Ce fut un tollé général dans toute l’Espagne et ce fait, en apparence mineur, allait servir de détonateur.

Les souverains adressèrent un message solennel au pape Sixte IV, afin qu’il autorise l’inquisition dans leur pays pour lutter contre les agissements pervers des hérétiques. Une bulle papale leur donna satisfaction, et l’on nomma à Séville Miguel de Morillo et Juan de Martin, les premiers grands inquisiteurs de la péninsule Ibérique.

Ce fut la stupeur et la consternation parmi les marranes. En moins d’un mois, le mouvement prit une ampleur considérable. Le danger rôdait à chaque coin de rue. Le nombre des convertis revenus au judaïsme était considérable, et bien peu s’étaient montrés discrets. Ils risquaient d’être dénoncés à tout moment.

Diego de Susan faisait partie du conseil de la ville. Il proposa une entrevue à Torquemada pour que le tribunal de la honte ne devienne pas effectif, afin de régler le problème sans effusion de sang. Mais Torquemada refusa. Isabelle, sollicitée, opposa le même refus. Dans sa construction d’une Espagne pure et forte, il n’y avait pas de place pour les hérétiques, un chrétien baptisé qui reniait la parole du Christ était un danger pour la foi. Donc, pour le pays, pour bouter les Sarrasins hors de Grenade, il fallait d’abord assainir le royaume de tous ses éléments perturbateurs. Miguel de Morillo et Juan de Martin n’allaient pas tarder à s’installer à Séville. On verrait alors les résultats.

“L’affaire de la pâque juive” avait excité le peuple. Cette fois-ci on ne s’attaquait pas aux juifs, mais qu’importe, il y avait de l’investigation, de la dénonciation dans l’air, on se prit à commérer, les esprits se réveillèrent, prêts à assister les tribunaux dans leur tâche salutaire … Ainsi, aux yeux d’une poignée d’observateurs, l’insistance de Diego de Susan parut suspecte. Au conseil de la ville, il ne cessait de dénoncer l’infamie d’un tribunal d’inquisition. On se mit à l’espionner.

Il réunit plusieurs amis qui judaïsaient, parmi ceux qui n’avaient pas été arrêtés lors de la pâque, afin de trouver une solution. Quelques personnes très dévotes rapportèrent que plusieurs nouveaux “chrétiens” avaient pris beaucoup de précautions pour se rencontrer. Dans quel but ? L’oreille indiscrète d’un pieux chevalier chrétien, fort amoureux de la fille de Diego, put saisir quelques bribes de leur conversation : “deux émissaires”, “empêcher ce tribunal de s’installer”, “recours à la violence”. Il s’en inquiéta auprès des pouvoirs publics. Diego de Susan, hérétique, et quelques complices projetaient d’abattre Miguel de Morillo et Juan de Martin. Diego et  ses  acolytes furent arrêtés.

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