Par Didier Nebot
« Les souverains, dirent les autorités à Abravanel, sont disposés à oublier l’aide que votre communauté a apporté aux nouveaux chrétiens si vous prenez à votre charge le siège de Grenade. Montrez-vous digne de notre confiance et vous n’aurez pas à le regretter. »
Rabbins, marchands, responsables communautaires, tous furent d’accord : « Qu’importent les sacrifices, si liberté et sécurité en sont le prix », disait-on. Les armuriers s’activèrent jour et nuit sans être rétribués. Tolède, Valladolid et bien d’autres villes vibrèrent sous le choc des marteaux. Casques, lances, épées, haches, armures, cottes de maille et mousquetons s’acheminèrent vers la capitale sarrasine. Les meilleurs artisans érigèrent aux portes de Grenade un immense village de tentes, dont les plus spacieuses et les plus belles étaient destinées aux seigneurs.
Les tailleurs les plus habiles, juifs pour la plupart, arrivèrent sur le champ de bataille pour confectionner à bon compte de somptueux habits. Il était impensable que l’élite espagnole, qui avait suivi son roi, renonce à ses habitudes d’élégance. Les juifs fournissaient chèvres, vaches, brebis, poules et gibier. Ils s’approvisionnaient auprès des agriculteurs arabes, à qui l’on avait promis la liberté en échange de leur concours actif ;
Pour prévenir une éventuelle attaque sarrasine, on mit sur pied, un peu à l’écart du village de toile, un hôpital de campagne où de nombreux prêtres, aussi insolite que cela puisse paraître, collaboraient avec des médecins juifs.
Le siège se poursuivait, passif, sans action d’éclat, mis à part quelques razzias, petites escarmouches sans conséquence dont aucun des camps ne tirait avantage.
Dans la ville aux abois, les réfugiés et les impotents affluaient ; certains se lamentaient, d’autres priaient, d’autres encore abjuraient le Coran. Désespoir de ces hommes qui ne croyaient plus en rien, détresse des vieillards réfugiés dans la lecture des livres sacrés, plaintes terrifiantes de ces blessés attendant la mort.
Ailleurs le pays redevenu espagnol commençait à s’organiser. Isabelle avait promis la liberté de culte, mais y croyait-on vraiment ? Beaucoup de musulmans embarquèrent pour l’Afrique. L’Eglise investissait les mosquées, l’ombre de la croix s’avançait sur chaque maison. On reconstruisait, on se disputait avec mesquinerie les terres reconquises. L’Espagne reprenait ses droits.
Le siège de Grenade dura un an. La ville était riche, il fallut deux hivers pour que toutes les réserves, puis tout son espoir s’épuisent. Dix ans d’offensives catholiques, la discorde qui régnait au sein de la famille de l’émirat, un siège effroyable, tout cela mit à genoux Grenade la fière.